samedi 29 novembre 2014

"D'où vient ce mépris persistant quand on aborde la littérature jeunesse ?"

Tribune de Sylvie Vassalo et Vincent Monadé :

 

 "La littérature jeunesse, un art majeur"

 

Roald Dahl, Astrid Lindgren, Tomi Ungerer, Claude Ponti, Grégoire Solotareff, Michel Galvin, Marie Desplechin, Jean-Claude Mourlevat, Suzanne Collins, Timothée de Fombelle, J.K. Rowling... la liste des écrivains talentueux, parfois géniaux, qui font lire et rêver des générations d'enfants et d'adolescents prendraient l'intégralité de ces pages Rebonds. Des artistes majeurs destinent leurs œuvres aux petits, forts de la conviction qu'ils méritent le meilleur. Leur public est toujours plus nombreux. Et pourtant, persiste clairement, ici et là, l'idée que cette littérature ne joue pas dans la cour des grands.

Qu'importeraient quelques Trissotin incurables si les jugements de valeur, revendiqués ou tacites des arbitres des élégances et du bon goût, ceux qui méprisent tout à la fois le polar, la SF, la fantasy, la BD et la littérature jeunesse, ne sapaient pas, jour après jour, l'envie de lire chez les plus jeunes, chez ceux qui seront, demain, des lecteurs et des écrivains. Oui, les genres sont littératures, dignes d'être lus, aimés, partagés, enseignés aux plus jeunes comme aux autres.

D'où vient ce mépris persistant, cette méconnaissance, cette inculture quand on aborde ces rivages littéraires ? Nous faudrait-il, devenus adultes, absolument brûler ce que nous adorions enfants ? Ou bien cette morgue ne serait-elle que posture, crainte, en valorisant une littérature de l'imaginaire, de l'évasion et du rêve, de passer pour un imbécile. Nous assumons volontiers de passer pour tels.

Lundi, au Centre national du livre, nous organisions une rencontre avec des auteurs de littérature jeunesse, des journalistes, des spécialistes. Il s'agissait de poser les prémices d'un club de réflexion autour du livre jeunesse qui permettrait de penser ses évolutions et les enjeux numériques, et de résister à ce procès permanent et dangereux que certains lui intentent, parfois au nom de la morale.

Une morale qui, jamais, n'a rien eu à voir avec l'art. Une morale portée par des censeurs de tout poil qui s'élèvent contre des livres qu'ils n'ont, le plus souvent, pas lus. Alors que s'ouvre le Salon du Livre de jeunesse à Montreuil, ce travail collectif est nécessaire : il est temps d'affirmer le rôle essentiel que joue la littérature jeunesse dans la vie des enfants et dans la formation des citoyens qu'ils deviendront.

Ce que nous revendiquons, c'est la reconnaissance de ce rôle, c'est le fait d'employer les mots « talent » et « génie » quand on parle d'œuvres majeures de la littérature mondiale qui se trouvent avoir été écrites pour la jeunesse.

Ce que nous demandons, c'est que le monde des arts et des lettres, la presse, les institutions mesurent la responsabilité que nous avons de mettre en avant cette littérature singulière qui donne aux enfants non seulement le goût de lire, mais aussi le droit de rêver et d'emprunter de nouveaux chemins. Dans ce monde en panne, n'est-ce pas notre rôle ? La littérature jeunesse est un art. C'est un art majeur. C'est le 10ème art.


Sylvie Vassallo, Directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse
Vincent Monadé, Président du Centre national du livre