"Troyat a d’abord décidé quel caractère il allait traiter et ensuite,
comme un sculpteur qui affine ses premières ébauches, il va creuser,
modeler, contraster jusqu’à donner au personnage le relief qui le fait
croire vivant et réel. Troyat pratique en somme le contraire de ce que
l’on appelle aujourd’hui l’autofiction.
Le roman qui m’a le plus égaré, en la matière, est "La neige en deuil". C’est l’occasion pour moi de vous mettre en garde. Après avoir élu, en la personne de mon ami Erik Orsenna, un fou de la mer (qui succédait, il est vrai, au commandant Cousteau !), vous vous êtes encombrés cette fois d’un maniaque de la montagne. Il ne s’agit pas, chez moi, d’une maladie congénitale, puisque je suis né dans le Berry, pays plat s’il en est, dont le point culminant ne dépasse pas deux cents mètres. Je salue d’ailleurs ici les représentants de l’académie du Berry, dignes héritiers de George Sand et d’Alain-Fournier. Ils m’aident à entretenir l’affection que j’ai pour la champagne berrichonne, la Sologne et le Boischaut. Mais sur le terrain sans immunité d’un natif de ces plaines, le virus de la montagne, contracté à l’âge de dix huit ans, a fait des ravages. J’aime l’escalade, le maniement des mousquetons et de la corde, le monde minéral du granit et des glaciers, l’amitié des guides dont j’utilise rarement les services mais toujours les conseils car je suis incurablement un premier de cordée. J’ai le bonheur de pouvoir me réfugier, à Saint-Nicolas-de-Véroce, dans une maison savoyarde qui ouvre sur l’aiguille de Bionnassay et les dômes de Miage. Les nuits d’insomnie, je peux suivre à la jumelle les lampes frontales des alpinistes le long de la voie normale du mont Blanc. Aussi, quand j’ai relu, pour préparer ce discours, La Neige en deuil, j’ai cru tenir le lien."
Le roman qui m’a le plus égaré, en la matière, est "La neige en deuil". C’est l’occasion pour moi de vous mettre en garde. Après avoir élu, en la personne de mon ami Erik Orsenna, un fou de la mer (qui succédait, il est vrai, au commandant Cousteau !), vous vous êtes encombrés cette fois d’un maniaque de la montagne. Il ne s’agit pas, chez moi, d’une maladie congénitale, puisque je suis né dans le Berry, pays plat s’il en est, dont le point culminant ne dépasse pas deux cents mètres. Je salue d’ailleurs ici les représentants de l’académie du Berry, dignes héritiers de George Sand et d’Alain-Fournier. Ils m’aident à entretenir l’affection que j’ai pour la champagne berrichonne, la Sologne et le Boischaut. Mais sur le terrain sans immunité d’un natif de ces plaines, le virus de la montagne, contracté à l’âge de dix huit ans, a fait des ravages. J’aime l’escalade, le maniement des mousquetons et de la corde, le monde minéral du granit et des glaciers, l’amitié des guides dont j’utilise rarement les services mais toujours les conseils car je suis incurablement un premier de cordée. J’ai le bonheur de pouvoir me réfugier, à Saint-Nicolas-de-Véroce, dans une maison savoyarde qui ouvre sur l’aiguille de Bionnassay et les dômes de Miage. Les nuits d’insomnie, je peux suivre à la jumelle les lampes frontales des alpinistes le long de la voie normale du mont Blanc. Aussi, quand j’ai relu, pour préparer ce discours, La Neige en deuil, j’ai cru tenir le lien."
Extrait du discours de réception de Jean-Christophe Rufin à l'Académie Française, le 12 novembre 2009 (élu à la place laissée vacante par la mort d'Henri Troyat).
Jean-Christophe Rufin à Grenoble, en 2013
Photo DL/Lisa MARCELJA